Simone C.

Bouquinerie Au lieu du livre, rue Crémazie ouest

-Envol-

J’étais toute minuscule dans ma chambre ce soir-là. J’avais fait beaucoup d’efforts pour ouvrir ma fenêtre, juste un peu. Je me souviens de mes doigts potelés d’enfant qui essayent de pousser le loquet pour l’ouvrir juste assez pour sentir l’air frais de la nuit sur mes joues. Je n’ai pas réussi. Je n'ai jamais réussi.

Je me suis assise sur le bout de mon lit, le regard fixé sur mes pieds : Peter Pan n’allait pas venir me chercher. Mais j’étais une enfant, j’étais complètement libre de fermer les yeux et de commencer à sentir la brise nocturne sur mes pommettes. Ça débutait par une tache informe, puis s’ensuivait une étoile et une île, jusqu’au moment où je pouvais apercevoir les vagues, les montagnes et que je puisse entendre le chant des sirènes et le cri des pirates. Le nombre de nuits que j’ai passées à Neverland est infini. Puis j’ai grandi, comme tous les enfants, sauf un, et mon plus grand pouvoir est parti.

***

Marcher sur l’avenue Cartier est une promenade humaine. Il y a tellement d’histoires à portée de main, d’histoires qui seront oubliées, sûrement. Et si j'écrivais la mienne dans un livre, est-ce qu’on m'oublierait aussi? J’ai tourné à gauche sur Crémazie. Le lieu du livre. Cette librairie possède une âme, j’en suis sûre. J’ai passé la porte (cloche qui sonne). Les bibliothèques se tiennent droites comme des sentinelles protégeant des milliers d'histoires. La lumière peine à filtrer entre tous ces livres. La musique joue. J’ai salué le libraire et, à gauche, un livre a attiré mon attention. Une rose dans un champ de tournesols serait moins disparate. J’ai approché ma main et caressé la reliure. Est-ce que ce livre ne serait pas la forme de mon vrai visage? Peter Pan, par J.M Barrie. Comme des bruits de chasse, mais sans la colère, j’entends: tu habites ici, depuis le tout début, c’est l’imaginaire.

Je l’ai ouvert. Le songe d’une nuit, d'une vie.

Page 57.

«Tourne dans le vent, sous la planète d'argent, décolle et batifole… Tu t’envoles. Tu t’envoles. Tu t’envoles.»

-Peter Pan