M.R (lu par Luiss L.-B.)
Béluga Boba, avenue Cartier
Boba à la main, un jeune homme fixait la machine à laver qui tournait depuis déjà une quinzaine de minutes. Il portait une chemise crème abhorrée de petits monstres difformes. Sa jambe trépignait au rythme de la musique qui jouait tout doucement dans le lavoir Cartier. Pendant un instant, les effluves du béton mouillé se mélangèrent avec celles de la lessive et, dans l'entrebâillement de la porte vitrée, se tenait à présent un grand homme qui semblait avoir dans la vingtaine. Il se dirigea vers le commerce au bout du couloir d’un pas lent, les écouteurs enfoncés dans les oreilles, et s’acheta un thé à la pêche.
L’homme aux cheveux noirs crépus se posa aux côtés du seul autre occupant de l’abri. Leurs yeux se croisèrent pendant un instant et une drôle de tension s’était installée. Des mots brûlaient les lèvres de chacun, mais aucun des deux ne voulait les laisser sortir. Ils fixaient tous les deux la machine qui tournait sempiternellement, en essayant d’accumuler le courage nécessaire pour ouvrir la bouche. Le clapotis de la pluie sur la vitre de la porte rendait le silence encore plus palpable dans l’habitacle. Le garçon aux cheveux bleus triturait son porte-clé de ses mains moites, l’angoisse au ventre. Il balbutia finalement les mots qui lui pesaient tant sur le cœur ; “Ça fait longtemps.”. L’homme aux yeux d’ambre le fixa, surpris, puis éclata de rire. L’autre sourit d’un air gêné. La machine poursuivit son mouvement et ils continuèrent à parler et rigoler ainsi jusqu’à entendre la mélodie de la machine grise, puis ils se levèrent et quittèrent la minuscule bâtisse aux briques jaunes ensemble, le sourire aux lèvres.
Quelques semaines plus tard, un nouveau post it avait été collé parmi les dizaines d’autres qui ornait le couloir de la laverie. Deux initiales entourées d’un cœur avaient été gribouillées sur le papier bleu.